Legendes du rugby francais (Tome 2)
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Legendes du rugby francais (Tome 2)
En ces temps ou l'horizon du XV de France s'est considerablement noirci , il est bon de tourner quelques pages du livre d'histoire et de se rememorer un de ces autres episodes qui a batit la reputation des bleus sur la planete rugby : brillant et imprevisible.
Alors, souvenez vous, c'etait en 79, il faisait chaud (on etait en Juillet) et, le 14 au matin, 15 joueurs (parmi lesquels Dintrans pour sa 2eme cape, Dubroca qui allait feter sa 1ere selection...a la pile) partait pour l'Eden park a Auckland....
14 juillet 1979 : la montée vers l’Eden
Photo : Graham Mourie, le capitaine '''All Blacks'', paraît ici impuissant à attraper son homologue français Jean-Pierre Rives, ballon en mains, sous les yeux de Jérôme Gallion (à gauche) et de Philippe Dintrans (derrière). Tout le mythique 14 juillet 1979 à Auckland est au fond résumé dans cette image.C’est un pur hasard. L’une de ces coïncidences de l’existence dans lesquelles on voudrait voir du sens là où, tout simplement, il n’est qu’une circonstance. « Ç’aurait été le 15 août, ça nous aurait fait exactement le même effet. Ou le 18 juin, tiens » assure ainsi aujourd’hui Jean-Pierre Rives, ‘’Casque d’Or’’, le premier capitaine français à « l’avoir fait ». Encore faut-il s’entendre sur le « 18 juin » dont on parle. Celui de 1940 où, de Londres, un général quasi inconnu appela une nation à la rébellion, ou celui de 1815 quand, à Waterloo, un despote illuminé en bout de course souffla de ses derniers canons le peu qu’il restait d’éclairé au pays des Lumières ?
Et puis cette histoire de date, en définitive, n’a aucune importance car, de tous ceux que nous avons rencontrés, personne dans cette équipe de France n’a évoqué la coïncidence, ne connaissait ou ne se souvenait des vers de Jean Ferrat : « C’est fou comme ce 14 est gai / quand au calendrier / il est suivi de juillet ». Même ceux qui à l’instant de la « Marseillaise » avaient facilement l’œil mouillé.
Ces considérations calendaires évacuées, 14 juillet ou non, battre à Auckland le Néo-Zélandais cet été-là, ça oui, il fallait le faire. Pour résumer ou simplifier les choses – c’est comme l’on voudra – oser en ce mois de juillet 1979 défier les « All Blacks » de Graham Mourie à l’Eden Park c’était à peu près aussi malin que si neuf ans plus tôt à la même époque les footballeurs français s’étaient amusés à chatouiller au Maracana de Rio le Brésil de Pelé, champion du monde tout chaud rentré de Mexico.
D’autant plus qu’une semaine plus tôt, à l’occasion du premier test dans l’île du Sud, les Bleus avaient l’impression, selon l’expression de Philippe Dintrans, qui célébrait là sa première sélection, « d’avoir pris une sacrée branlée ». C’est sûr, la première mêlée recula de vingt mètres et le score, 23-9, n’invita pas aux félicitations. De toute manière, l’incident participait presque de l’ordinaire puisque s’étant produit à Christchurch dont on sait que l’endroit ne sera jamais une terre sainte pour tous les rugbymen du monde.
Il n’empêche. Même si l’on n’en était plus aux épopées exotiques de la préhistoire – deux « gros pardessus » de la Fédération avaient été emportés, deux hommes de terrain, un toubib, un magnétoscope et des cassettes aussi – cette défaite, si loin de la terre où ils sont nés, provoqua chez les joueurs une réaction de dégoût que l’on ne peut imaginer. « J’avais l’impression qu’on avait pris quarante pions » dit Dintrans. « Pareil », enchaînent Rives et Jean-Michel Aguirre.
Deux choses, pourtant, auraient dû les interpeller, comme l’on dit, s’ils avaient été moins sonnés.
La première tient à la mêlée. Dintrans, au talonnage, chipa en effet trois ballons à Dalton sur introduction « Blacks ». Or un Dalton, en ces temps-là, était à peu près autant vénéré dans le métier que peuvent être symboliques le mètre et le kilogramme en platine irridié déposés sous cloche au Pavillon de Breteuil à Sèvres. Il avait été tellement impressionné, « Andy, l’étalon », qu’au banquet d’après-match, il approcha le jeune Dintrans afin de mieux faire connaissance.
L’autre chose qui aurait dû attirer l’attention des joueurs de l’équipe de France, c’est un bout de la conversation tenue entre les deux capitaines au coin du bar, une fois les cérémonies dînatoires expédiées.
Jean-Pierre Rives : « Qu’est-ce que tu en penses, toi ? Je sais bien qu’il est programmé mais est-ce que ça vaut vraiment le coup de le jouer samedi prochain ce putain de deuxième test à Auckland ? »
« Ne dis pas ça, Jean-Pierre, ce n’est pas toi. Rien n’est impossible dans la vie… » répondit alors Graham Mourie, ce que l’on tient, assez généralement, pour des propos de vainqueurs compatissants et qui pourtant n’avaient rien à voir avec les horripilants « Good game » prononcés quelques années plus tard par l’irritant Will Carling en serrant la main des Bleus après chaque succès anglais.
Rives et Mourie, bien que ne s’étant point croisés si souvent sur un terrain, s’appréciaient mutuellement, notamment depuis la tournée que les « All Blacks » avaient effectuée en 1977 sur le vieux continent. Quelque chose ressemblant à une tendresse partagée, comme elle l’a toujours été au fond entre Français et Néo-Zélandais depuis la nuit des temps. « Rien à voir avec les Sud-Africains, note Dintrans. Eux, ce sont des gros cons », disons des abrupts pour être moins définitif.
Cette sympathie, sans doute, se fonde sur une promiscuité souvent renouvelée – 38 matchs en 96 ans – mais aussi sur un certain nombre de principes humains communs et cette manière qu’ont les gars du bout du monde d’avoir leurs élégances.
« S’ils peuvent passer 100 points à leurs adversaires, ils ne vont pas se gêner, c’est leur manière à eux de les respecter » dit Jean-Pierre Rives.
Et c’est vrai que, sans avoir de nostalgie particulière pour la lampe à huile et la marine à voile ni être l’un de ces adeptes professant que « le progrès, c’était mieux avant », nous avons vu des générations de « All Blacks », disons jusqu’au début des années 90, qui, sur et hors du terrain, avaient de bien belles façons. Et même si, à l’occasion, il est arrivé sur l’herbe de belles distributions de poires entre Français et Néo-Zélandais, cela n’est jamais allé jusqu’à l’outrage, et a toujours été entre eux comme entre les Jouvet et Arletty d’Hôtel du Nord, le film de Marcel Carné : « Cocards mis à part, ça va plutôt bien entre nous. Par terre, on s’dispute, au lit on s’explique et sur l’oreiller, on s’comprend. »
Il reste qu’en cette veillée du 7 juillet 1979, un peu funèbre au train où le ballon avait couru cet après-midi là, et malgré les gentillesses locales entendues ensuite, l’équipe de France envisageait, c’en était désolant, son avenir à genoux pour le samedi suivant.
Ce qui était d’autant plus idiot qu’Andy Haden – lequel avait pratiqué à Tarbes, disputé le test de Christchurch et eu, en quittant le sud-ouest de la France deux ou trois ans plus tôt, des mots bien délicats : « Au moment de rentrer chez moi, j’emmènerais bien un morceau des Pyrénées et le jeune Dintrans » -, ce Haden, 52 ans à l’heure actuelle, avait bien compris, lui, que les Français avaient creusé leur tombe avec leurs propres dents.
Il se souvient aujourd’hui : « Ils ont voulu pratiquer un rugby qu’ils ne connaissaient pas. Forcément, ils se sont fait piéger. »
Ce que confirme Jean-Michel Aguirre, 51 ans, qui constate que « jusqu’à ce match, la tournée avait été réussie. On avait gagné en envoyant beaucoup de jeu derrière et cela nous avait fait aimer de la Nouvelle-Zélande ». Mais on n’en était plus là au réveil en ce dimanche 8 juillet tant il est vrai qu’un camouflet reçu de manière si tonitruante peut parfois, pour l’homme, franchir les limites du supportable.
Et là-dessus, nouvelle défaite (12-11) le mardi suivant à Invercagill au fin fond du pays, contre la Southland Province. « Ce qui m’a foutu en rogne, note Jean-Pierre Rives, c’est qu’au dîner, je n’ai senti aucune révolte. Comme si les gars s’en foutaient. En plein milieu du repas, j’ai dit à Robert Paparemborde : « Viens, on se casse » et on est montés dans ma chambre jouer au scrabble. Mais j’avais la tête ailleurs et, au bout d’un moment, j’ai pensé que c’était trop con de laisser ces gamins tous seuls. Alors je suis redescendu et le coup est parti. » Comme toujours dans ce genre d’histoires, les bringues impromptues sont souvent les meilleures. Une infernale s’emballa donc pour se terminer à pas d’heure. « Moi, j’ai dû me coucher vers 5 plombes », croit se souvenir Dintrans.
Mais en tournée il est un règlement. Sauf avis contraire, et il n’en était ici bien sûr point question, petit-déjeuner à 8 heures puis entraînement dans la foulée.
Jean-Pierre Rives – qui sait se montrer charmant et courtois, parfois jusqu’à la caricature – peut être aussi, cela est moins su, homme au fort mauvais caractère. En un mot, il était au réveil d’une humeur massacrante. Certains, le connaissant bien, affirme à ce propos qu’arrivé au demi-siècle il n’a pas terriblement changé.
Au motif qu’il en avait par dessus son casque d’or, il somma donc ce matin-là sa troupe d’avaler sur le pouce son café et de le retrouver au bus dans les plus brefs délais. « Là, dit Dintrans, je me suis dit : « On ne va pas rigoler ». On avait beau se les geler, j’ai enfilé le tee-shirt et le short, c’est tout. »
Arrivé à l’orée d’une forêt aussi engageante que celle du Seigneur des Anneaux – un film tourné en Nouvelle-Zélande, justement -, Rives fait stopper le bus et sans rien demander à personne – et surtout pas à Aguirre, l’arrière, d’ordinaire chargé du « physique » - le voilà qui commence son footing. « Au bout de 500 mètres environ, je me retourne et j’en vois qui traînent les pieds. Alors on s’est arrêté et j’ai gueulé. »
Et l’on entendit une voix dominer le désastre qui se préparait. Un Rives en colère, hors le gazon, cela s’est rarement vu. Surtout en usant d’un singulier langage, aussi grossier que certains discours bien tournés peuvent parfois être vulgaires : « Vous commencez à me casser les couilles. Notre merde, on l’a cherchée, alors on va la bouffer jusqu’au bout. Une tournée c’est comme une java : ça doit se terminer ou alors on n’y participe pas. Alors, que ceux qui veulent jouer samedi en chient un bon coup, les autres n’ont qu’à penser à la plage ! » Grands dieux, quelle envolée, quels termes surprenants explosant d’un organe habituellement si modéré. Le ton était si lugubre qu’ensuite, évidemment, plus personne ne broncha. « Les types tombaient comme des mouches », rigole encore à 46 ans Dintrans.
« On s’est d’un coup totalement pris en mains, reconnaît Aguirre, et on est alors rentré dans le match. »
Samedi 14 juillet 1979, le grand jour se lève. Il est 10 heures dans une chambre d’un hôtel d’Auckland. Philippe Dintrans a son père au bout du fil, la porte est ouverte. Et il se met à hurler, répétant, répétant encore : « Nous serons peut-être battus mais je serais vaillant, vaillant, je vous le jure ; vous n’aurez pas honte, je vous le jure ! »
Midi, heure du briefing d’avant-match. Rives parle : « Tout à l’heure, j’ai par hasard entendu l’un d’entre vous au téléphone. Et après ce que j’ai entendu, je vous l’assure, nous ne serons pas battus. »
Le destin aime en certaines circonstances faire le malin. Car, si côté français – et beaucoup de témoignages concordent en ce sens, même chez ceux qui ont le cœur en tricolore – il ne fut jamais question de « Prise de la Bastille », les Néo-Zélandais, eux, avaient fait le rapprochement. « J’ai prévenu les copains, explique Haden. Je leur ai dit qu’en France c’était la Fête Nationale et ça nous a foutu la trouille. »
On n’approche pas de l’Eden Park sans religiosité. C’est un lieu étrange où les gradins donnent l’impression d’avoir été empilés selon l’humeur du moment et celle des différents architectes chargés d’y réfléchir. C’est un endroit aussi, qui, comme jadis au stade Yves-du-Manoir à Colombes, possède un terrain d’entraînement adossé à l’une de ses tribunes.
Une grosse demi-heure avant le coup d’envoi – 15 heures, c’est-à-dire 3 heures du matin en France – Aguirre prit ‘’ses’’ arrières Averous, Codorniou, Mesny, Costes et Caussade, et les mena s’y échauffer. Les avants et Jérôme Gallion, le demi de mêlée, eux, restèrent au vestiaires. Pour s’y ‘’chauffer’’. Au retour, ‘’Jean-Mi’’ s’approcha de Rives : « Nous, on est prêts. » « Nous aussi », répondit ‘’Casque d’Or’’.
Le reste est entré dans la légende. Ce que le rugby, tout de même, ne fait pas faire aux hommes ! Devant, ils ont tenu au-delà du possible et, derrière, les ‘’mômes’’ se sont montrés extravagants à un point que l’on ne pouvait imaginer : quatre essais de funambules pour faire flotter pour la première fois le drapeau bleu sur l’Eden Park (24-19).
Au coup de sifflet final, aussi, Graham Mourie s'est approché de Rives et lui a dit : « Tu vois, Jean-Pierre, rien n’est impossible dans la vie. » Un seigneur.
Comme tous les « All Blacks » qui, à leur heure, sont bien savants mais le reste du temps de joyeuses gens. Le soir, alors que rien n’était prévu, ils ont organisé une ‘’bouffe’’ – et largement remporté un concours de bière tenant lieu de dernier test.
Le lendemain, un avion emporta les Français pour quelques jours de vacances à l’est d’Eden. Vers Tahiti. Bref, au paradis.
Alors, souvenez vous, c'etait en 79, il faisait chaud (on etait en Juillet) et, le 14 au matin, 15 joueurs (parmi lesquels Dintrans pour sa 2eme cape, Dubroca qui allait feter sa 1ere selection...a la pile) partait pour l'Eden park a Auckland....
14 juillet 1979 : la montée vers l’Eden
Photo : Graham Mourie, le capitaine '''All Blacks'', paraît ici impuissant à attraper son homologue français Jean-Pierre Rives, ballon en mains, sous les yeux de Jérôme Gallion (à gauche) et de Philippe Dintrans (derrière). Tout le mythique 14 juillet 1979 à Auckland est au fond résumé dans cette image.
Et puis cette histoire de date, en définitive, n’a aucune importance car, de tous ceux que nous avons rencontrés, personne dans cette équipe de France n’a évoqué la coïncidence, ne connaissait ou ne se souvenait des vers de Jean Ferrat : « C’est fou comme ce 14 est gai / quand au calendrier / il est suivi de juillet ». Même ceux qui à l’instant de la « Marseillaise » avaient facilement l’œil mouillé.
Ces considérations calendaires évacuées, 14 juillet ou non, battre à Auckland le Néo-Zélandais cet été-là, ça oui, il fallait le faire. Pour résumer ou simplifier les choses – c’est comme l’on voudra – oser en ce mois de juillet 1979 défier les « All Blacks » de Graham Mourie à l’Eden Park c’était à peu près aussi malin que si neuf ans plus tôt à la même époque les footballeurs français s’étaient amusés à chatouiller au Maracana de Rio le Brésil de Pelé, champion du monde tout chaud rentré de Mexico.
D’autant plus qu’une semaine plus tôt, à l’occasion du premier test dans l’île du Sud, les Bleus avaient l’impression, selon l’expression de Philippe Dintrans, qui célébrait là sa première sélection, « d’avoir pris une sacrée branlée ». C’est sûr, la première mêlée recula de vingt mètres et le score, 23-9, n’invita pas aux félicitations. De toute manière, l’incident participait presque de l’ordinaire puisque s’étant produit à Christchurch dont on sait que l’endroit ne sera jamais une terre sainte pour tous les rugbymen du monde.
Il n’empêche. Même si l’on n’en était plus aux épopées exotiques de la préhistoire – deux « gros pardessus » de la Fédération avaient été emportés, deux hommes de terrain, un toubib, un magnétoscope et des cassettes aussi – cette défaite, si loin de la terre où ils sont nés, provoqua chez les joueurs une réaction de dégoût que l’on ne peut imaginer. « J’avais l’impression qu’on avait pris quarante pions » dit Dintrans. « Pareil », enchaînent Rives et Jean-Michel Aguirre.
Deux choses, pourtant, auraient dû les interpeller, comme l’on dit, s’ils avaient été moins sonnés.
La première tient à la mêlée. Dintrans, au talonnage, chipa en effet trois ballons à Dalton sur introduction « Blacks ». Or un Dalton, en ces temps-là, était à peu près autant vénéré dans le métier que peuvent être symboliques le mètre et le kilogramme en platine irridié déposés sous cloche au Pavillon de Breteuil à Sèvres. Il avait été tellement impressionné, « Andy, l’étalon », qu’au banquet d’après-match, il approcha le jeune Dintrans afin de mieux faire connaissance.
L’autre chose qui aurait dû attirer l’attention des joueurs de l’équipe de France, c’est un bout de la conversation tenue entre les deux capitaines au coin du bar, une fois les cérémonies dînatoires expédiées.
Jean-Pierre Rives : « Qu’est-ce que tu en penses, toi ? Je sais bien qu’il est programmé mais est-ce que ça vaut vraiment le coup de le jouer samedi prochain ce putain de deuxième test à Auckland ? »
« Ne dis pas ça, Jean-Pierre, ce n’est pas toi. Rien n’est impossible dans la vie… » répondit alors Graham Mourie, ce que l’on tient, assez généralement, pour des propos de vainqueurs compatissants et qui pourtant n’avaient rien à voir avec les horripilants « Good game » prononcés quelques années plus tard par l’irritant Will Carling en serrant la main des Bleus après chaque succès anglais.
Rives et Mourie, bien que ne s’étant point croisés si souvent sur un terrain, s’appréciaient mutuellement, notamment depuis la tournée que les « All Blacks » avaient effectuée en 1977 sur le vieux continent. Quelque chose ressemblant à une tendresse partagée, comme elle l’a toujours été au fond entre Français et Néo-Zélandais depuis la nuit des temps. « Rien à voir avec les Sud-Africains, note Dintrans. Eux, ce sont des gros cons », disons des abrupts pour être moins définitif.
Cette sympathie, sans doute, se fonde sur une promiscuité souvent renouvelée – 38 matchs en 96 ans – mais aussi sur un certain nombre de principes humains communs et cette manière qu’ont les gars du bout du monde d’avoir leurs élégances.
« S’ils peuvent passer 100 points à leurs adversaires, ils ne vont pas se gêner, c’est leur manière à eux de les respecter » dit Jean-Pierre Rives.
Et c’est vrai que, sans avoir de nostalgie particulière pour la lampe à huile et la marine à voile ni être l’un de ces adeptes professant que « le progrès, c’était mieux avant », nous avons vu des générations de « All Blacks », disons jusqu’au début des années 90, qui, sur et hors du terrain, avaient de bien belles façons. Et même si, à l’occasion, il est arrivé sur l’herbe de belles distributions de poires entre Français et Néo-Zélandais, cela n’est jamais allé jusqu’à l’outrage, et a toujours été entre eux comme entre les Jouvet et Arletty d’Hôtel du Nord, le film de Marcel Carné : « Cocards mis à part, ça va plutôt bien entre nous. Par terre, on s’dispute, au lit on s’explique et sur l’oreiller, on s’comprend. »
Il reste qu’en cette veillée du 7 juillet 1979, un peu funèbre au train où le ballon avait couru cet après-midi là, et malgré les gentillesses locales entendues ensuite, l’équipe de France envisageait, c’en était désolant, son avenir à genoux pour le samedi suivant.
Ce qui était d’autant plus idiot qu’Andy Haden – lequel avait pratiqué à Tarbes, disputé le test de Christchurch et eu, en quittant le sud-ouest de la France deux ou trois ans plus tôt, des mots bien délicats : « Au moment de rentrer chez moi, j’emmènerais bien un morceau des Pyrénées et le jeune Dintrans » -, ce Haden, 52 ans à l’heure actuelle, avait bien compris, lui, que les Français avaient creusé leur tombe avec leurs propres dents.
Il se souvient aujourd’hui : « Ils ont voulu pratiquer un rugby qu’ils ne connaissaient pas. Forcément, ils se sont fait piéger. »
Ce que confirme Jean-Michel Aguirre, 51 ans, qui constate que « jusqu’à ce match, la tournée avait été réussie. On avait gagné en envoyant beaucoup de jeu derrière et cela nous avait fait aimer de la Nouvelle-Zélande ». Mais on n’en était plus là au réveil en ce dimanche 8 juillet tant il est vrai qu’un camouflet reçu de manière si tonitruante peut parfois, pour l’homme, franchir les limites du supportable.
Et là-dessus, nouvelle défaite (12-11) le mardi suivant à Invercagill au fin fond du pays, contre la Southland Province. « Ce qui m’a foutu en rogne, note Jean-Pierre Rives, c’est qu’au dîner, je n’ai senti aucune révolte. Comme si les gars s’en foutaient. En plein milieu du repas, j’ai dit à Robert Paparemborde : « Viens, on se casse » et on est montés dans ma chambre jouer au scrabble. Mais j’avais la tête ailleurs et, au bout d’un moment, j’ai pensé que c’était trop con de laisser ces gamins tous seuls. Alors je suis redescendu et le coup est parti. » Comme toujours dans ce genre d’histoires, les bringues impromptues sont souvent les meilleures. Une infernale s’emballa donc pour se terminer à pas d’heure. « Moi, j’ai dû me coucher vers 5 plombes », croit se souvenir Dintrans.
Mais en tournée il est un règlement. Sauf avis contraire, et il n’en était ici bien sûr point question, petit-déjeuner à 8 heures puis entraînement dans la foulée.
Jean-Pierre Rives – qui sait se montrer charmant et courtois, parfois jusqu’à la caricature – peut être aussi, cela est moins su, homme au fort mauvais caractère. En un mot, il était au réveil d’une humeur massacrante. Certains, le connaissant bien, affirme à ce propos qu’arrivé au demi-siècle il n’a pas terriblement changé.
Au motif qu’il en avait par dessus son casque d’or, il somma donc ce matin-là sa troupe d’avaler sur le pouce son café et de le retrouver au bus dans les plus brefs délais. « Là, dit Dintrans, je me suis dit : « On ne va pas rigoler ». On avait beau se les geler, j’ai enfilé le tee-shirt et le short, c’est tout. »
Arrivé à l’orée d’une forêt aussi engageante que celle du Seigneur des Anneaux – un film tourné en Nouvelle-Zélande, justement -, Rives fait stopper le bus et sans rien demander à personne – et surtout pas à Aguirre, l’arrière, d’ordinaire chargé du « physique » - le voilà qui commence son footing. « Au bout de 500 mètres environ, je me retourne et j’en vois qui traînent les pieds. Alors on s’est arrêté et j’ai gueulé. »
Et l’on entendit une voix dominer le désastre qui se préparait. Un Rives en colère, hors le gazon, cela s’est rarement vu. Surtout en usant d’un singulier langage, aussi grossier que certains discours bien tournés peuvent parfois être vulgaires : « Vous commencez à me casser les couilles. Notre merde, on l’a cherchée, alors on va la bouffer jusqu’au bout. Une tournée c’est comme une java : ça doit se terminer ou alors on n’y participe pas. Alors, que ceux qui veulent jouer samedi en chient un bon coup, les autres n’ont qu’à penser à la plage ! » Grands dieux, quelle envolée, quels termes surprenants explosant d’un organe habituellement si modéré. Le ton était si lugubre qu’ensuite, évidemment, plus personne ne broncha. « Les types tombaient comme des mouches », rigole encore à 46 ans Dintrans.
« On s’est d’un coup totalement pris en mains, reconnaît Aguirre, et on est alors rentré dans le match. »
Samedi 14 juillet 1979, le grand jour se lève. Il est 10 heures dans une chambre d’un hôtel d’Auckland. Philippe Dintrans a son père au bout du fil, la porte est ouverte. Et il se met à hurler, répétant, répétant encore : « Nous serons peut-être battus mais je serais vaillant, vaillant, je vous le jure ; vous n’aurez pas honte, je vous le jure ! »
Midi, heure du briefing d’avant-match. Rives parle : « Tout à l’heure, j’ai par hasard entendu l’un d’entre vous au téléphone. Et après ce que j’ai entendu, je vous l’assure, nous ne serons pas battus. »
Le destin aime en certaines circonstances faire le malin. Car, si côté français – et beaucoup de témoignages concordent en ce sens, même chez ceux qui ont le cœur en tricolore – il ne fut jamais question de « Prise de la Bastille », les Néo-Zélandais, eux, avaient fait le rapprochement. « J’ai prévenu les copains, explique Haden. Je leur ai dit qu’en France c’était la Fête Nationale et ça nous a foutu la trouille. »
On n’approche pas de l’Eden Park sans religiosité. C’est un lieu étrange où les gradins donnent l’impression d’avoir été empilés selon l’humeur du moment et celle des différents architectes chargés d’y réfléchir. C’est un endroit aussi, qui, comme jadis au stade Yves-du-Manoir à Colombes, possède un terrain d’entraînement adossé à l’une de ses tribunes.
Une grosse demi-heure avant le coup d’envoi – 15 heures, c’est-à-dire 3 heures du matin en France – Aguirre prit ‘’ses’’ arrières Averous, Codorniou, Mesny, Costes et Caussade, et les mena s’y échauffer. Les avants et Jérôme Gallion, le demi de mêlée, eux, restèrent au vestiaires. Pour s’y ‘’chauffer’’. Au retour, ‘’Jean-Mi’’ s’approcha de Rives : « Nous, on est prêts. » « Nous aussi », répondit ‘’Casque d’Or’’.
Le reste est entré dans la légende. Ce que le rugby, tout de même, ne fait pas faire aux hommes ! Devant, ils ont tenu au-delà du possible et, derrière, les ‘’mômes’’ se sont montrés extravagants à un point que l’on ne pouvait imaginer : quatre essais de funambules pour faire flotter pour la première fois le drapeau bleu sur l’Eden Park (24-19).
Au coup de sifflet final, aussi, Graham Mourie s'est approché de Rives et lui a dit : « Tu vois, Jean-Pierre, rien n’est impossible dans la vie. » Un seigneur.
Comme tous les « All Blacks » qui, à leur heure, sont bien savants mais le reste du temps de joyeuses gens. Le soir, alors que rien n’était prévu, ils ont organisé une ‘’bouffe’’ – et largement remporté un concours de bière tenant lieu de dernier test.
Le lendemain, un avion emporta les Français pour quelques jours de vacances à l’est d’Eden. Vers Tahiti. Bref, au paradis.
Patrick Lemoine
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